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FLEURS D'HUILE ET DE BRONZE

Fleur éphémère,

beauté qui passe,

descends de l'orbe du temps

et viens vivre l'instant présent.

Lumière et transparence

 

Saysanasak na Champassak

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FLEURS D'HUILE

A mes yeux éblouis,

s’élève un hymne à la terre,

d’un parterre savamment orné

d’anthémis, de dahlias, d’anémones et d’iris.

O évanescente harmonie !

 

Saysanasak na Champassak

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FLEURS DE BRONZE

Ut pictura simulacra
Empreinte du geste, reflets de la peinture :
UNE NOVATION

Rainer Michael Mason

 


Sculpteur (et graveur) sur bois, Charles de Montaigu a tout d’abord et longuement développé, dès les dernières années 1970, un oeuvre informé par le minimalisme, le hard edge, l’image de la ville américaine et, en très lointain filigrane, par le cubisme. La force de la présence du matériau naturel et le traitement raffiné de sa texture brute incarnés dans une géométrie claire de poutres, de stèles et de hauts prismes, parfois de blocs plus trapus, articulés dans un jeu de lignes, de dièdres, de décrochements, de surplombs et de contrapposti figurant tensions et repos apparents offraient un art singulier de l’affirmation. Est-ce aujourd’hui seulement que l’on parlerait d’une expression baroque et jubilatoire de la géométrie et de la topologie ?


Dans l’aplat coloré et bourdonnant d’un encrage de monotype, de grandes xylographies projettent
vers 1992 sur la surface où s’apparient la face et le profil la construction sculpturale des volumes premiers distinctifs de Montaigu (graveur, il joue de ce que la division de la surface fait le tableau). Plus tard, au milieu des années quatre-vingt-dix, des huiles sur toile aux aplats nets de couleurs très contrastées vont délivrer une autre exploration encore des masses cristallisées qui hantent l’imaginaire du sculpteur. Ce dernier n’est-il, par l’esthétique et le tempérament, que tout d’une pièce, le charpentier sans partage d’une architecture arrêtée, solide ? Et l’homme du geste, de l’implication fébrile ?


De grandes feuilles, certes liées à la sculpture, abstraites d’elle à bien les lire, mais parfois aussi porteuses d’un jaillissement graphique non objectal, attestent vers le milieu des années 1980, une évidente pratique du dessin, cette action à la fois de saisie et d’émancipation de la forme, dans des médiums divers (brou de noix, encre, encre de Chine, gouache, crayons de couleur, crayon graphite, fusain), au trait et/ou au pinceau. Une décennie plus tard, la vieille "mine de plomb", toujours nue et sans repentir, prendra presque exclusivement le relais.


Et Charles de Montaigu, "dans un temps court", dans un "plan-séquence", écrit-il, de lâcher la bride à la pulsion de l’écriture, au geste presque libre – que l’on repère dès 1996. L’objet plastique pensé par le sculpteur le cède alors au nu féminin (le corps fiévreux plus que l’académie) et à la fleur (automne 1997), au paysage (dès 2001), regardé comme sismographiquement et hors contrôle à Mégève, Casemasce, Jaipur ou devant le Grammont et les montagnes du Léman haut-savoyard. La gestuelle de la main semble bien loin de toute conception dirigée. Dira-t-on que le dessinateur, engagé dans une ascension ou sur une pente sans frein, est irrépressiblement pris par le tremendum ?


Dans ce parcours qui, chez le musicien, serait sans doute celui de l’improvisation (où la part du métier est sans conteste déterminante), la fleur tient un rôle d’écran compositionnel, fantasmatique, structurel –   à ce titre voir par exemple les dessins à l’encre de Chine à la plume de la série Point noir de 2009, où la multiplication rayonnante des "pétales" est renforcée par le travail fréquentatif des hachures. Et, plus encore, la fleur autorise et accueille le déploiement du geste du dessinateur, la dilatation heureuse de ses vagues, de ses poussées épanouies. Dans d’innombrables pages, inlassablement, l’ouverture opère, le crayon sur le papier boit l’espace. L’artiste est à l’entrée d’une aire moins apodictique que du temps de ses charpentes réglées.


Cette thématique florale à l’image du Sturm und Drang de l’artiste devait un jour (dès 2009) entrer bien sûr dans la peinture et y prendre de plus en plus corps, passant du « dessin » vers le "coup de pinceau", puis vers l’existence de la "pâte", avec toutes ses inflexions possibles et l’intensification de la palette chromatique. Comme l’histoire de l’art du XXe siècle l’a accrédité, le format normalisé des toiles pousse à la série et aux variations, parallèlement à une "densification" du sujet, toujours le même dans son absolue différence. La conduite du geste, la gestion de la pennellata littéralement abstraites de la fleur, bien plutôt qu’elles ne tendent à quelque mimèsis, conduisent à une conformation autonome, à une nouvelle fiction. L’art n’est-il pas que cela ?


Les mouvements qui habitent la matière picturale, l’orographie douce propre aux sédimentations et traces prirent tout à coup, à la faveur d’une conversation avec un ami au printemps 2014, une évidence plastique, une nature tactile encore plus parlantes. D’où une hypothèse – bientôt vérifiée ! La "photographie" de ces petites toiles-territoires ressemblant aux sédiments fossiles sablonneux fixant les ondulations dessinées par le va-et-vient des eaux au fond d’un lac (les géologues et les amateurs de jardins magiques connaissent bien de telles pierres) ou, en d’autres termes, le relevé concret et la restitution métamorphosée ne répondraient-ils pas spontanément au désir d’œuvre, n’est-il pas possible de recueillir la palpitation de la peinture pour la faire rebondir dans une substance et une énergie autres ?


Ainsi – c’est vraisemblablement une étonnante première dans l’ordre de la peinture (et de la sculpture) ! –
fut réalisé le moulage soigneux de ces huiles sur toile, puis exécutée chez divers artisans leur fonte en bronze (ou en fer et en aluminium également). Ce ne sont en rien des sculpto-peintures, comme un Alexander Archipenko (1887–1964) a pu en inventer pour faire sortir dans l’espace tridimensionnel, tel un bas-relief, un tableau porteur de toutes ses teintes. Peut-être pourrait-on avancer l’idée d’une sculpture à parcourir du doigt, surtout si l’on imagine que la peinture puisse être de la "sculpture aveugle".


La "réplique" de fonte engendre non seulement une autre perception de la présence de l’objet, mais elle entraîne également une autre lecture de son relief. Les hauts bords des "sillages" peints se profilent en nervures, en "barbes" (pour parler comme pour la pointe sèche) souvent "dorées" et qui laissent la "couleur" dans les "fonds de tailles" (pour employer encore le langage de la gravure), car chaque exemplaire de ces fontes, toujours uniques, a reçu une patine, du rouge au vert bleuté, de l’ocre doré au gris argenté, de l’ambre sombre à l’ébène – patine qui modifie son climat, son « aura ». Peut-on simple ment suggérer ici, en détournant Horace, qu’il en va de la sculpture comme de la peinture – ut pictura simulacra ?


Ce qui aurait pu paraître renvoyer à l’œuvre de départ (antérieure et prétendument connue – en fait, la toile et son tirage ne sont jamais mis côte-à-côte, ce qui reviendrait à "naturaliser" le bronze, comme lorsque l’on veut stupidement montrer le bouquet de fleurs à côté de la nature morte peinte pour prouver une impossible ressemblance) se transfigure en une réalité autosuffisante. [Faut-il le souligner ? La fonte est également une livraison sensible, la mise à portée d’une nouvelle matérialité, incomparable. La traduction ou, mieux, la transsubstantiation de l’enduit ductile et des empâtements propres à la peinture dans la nouvelle physique du métal est peut-être de l’ordre des transcriptions que connaît la musique : se font entendre de façon jusque là "inouïe" le timbre, la sonorité, le phrasé, voire une réexposition démonstrative du thème. Le bronze fait exister la peinture, mais l’œil palpe autrement le relief, il le voit en tant que tel.] Le transfert de la peinture vers une autre "résolution", comme on dirait aujourd’hui pour qualifier la finesse du détail, s’accompagne d’une novation de l’organisation plastique et de la signification. L’œil reste coi devant ces nouvelles résonances.


Charles de Montaigu sculpteur, Charles de Montaigu dessinateur, Charles de Montaigu peintre vit un indubitable moment de réussite. S’est accomplie une métamorphose qui restitue ex nihilo quelque chose au regardeur à travers une appréhension imprévue : l’œuvre se présente comme un bronze dont on aurait résolu de laisser s’exprimer toute la « peau » et la chair métaphoriquement palpable qui la sous-tend. Quitte à y chercher les reflets ou de nouveaux possibles de la peinture. Les toiles retenues pour telles, parce qu’assumées en tant que réalisations autonomes, le regardeur peut désormais, comme un supplément de vision, les « imaginer » sous les dehors de tirages en bronze (en fer ou quelque autre métal).


La fleur n’est-elle qu’une, n’est-elle toujours qu’elle-même, sans autres acceptions ?

 

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